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Karolina Juzwa
Profitant de la présidence polonaise du Conseil de l’Union européenne, Jazzdor et Intl Jazz Platform ont réuni trois ensembles inédits. Karolina Juzwa, directrice de l’IJP,
revient sur les enjeux d’un tel rapprochement des scènes polonaise et française.
— Le premier temps de l’échange musical entre Jazzdor et International Jazz Platform a eu lieu pendant la présidence polonaise de l’Union européenne. Etait-ce une façon d’accompagner artistiquement cette présidence ?
— Nous travaillons régulièrement et depuis longtemps avec différents partenaires français comme AJC, Le Périscope, et Jazzdor. Philippe Ochem nous a souvent rendu visite en Pologne. Cette année, grâce à la présidence polonaise au Conseil de l’Union européenne, nous avons réussi, en quelques mois, à structurer davantage notre coopération. D’abord pour promouvoir des artistes de toutes nos scènes, mais aussi pour les encourager à découvrir d’autres mondes musicaux, au sein de collaborations qui puissent se pérenniser. Avec Philippe, nous avons commencé par rechercher les candidat·es potentiel·les, écouter leur musique puis nous avons échangé ensemble à leur sujet en pensant aux connexions possibles.
— Cet échange pourrait être vu aussi comme une forme d’action politique forte ?
— Absolument. C’est un réel engagement dans une coopération entre nos deux pays, pour leurs scènes respectives, mais aussi pour échanger des inspirations culturelles et musicales. Il en est ainsi avec ce projet important présenté à Jazzdor Berlin en juin dernier. Les musicien·nes ont ensuite voyagé en Pologne, au festival de Łódź, en Pologne centrale. En novembre, ce sera à Strasbourg. Nous avons pu programmer trois événements et nous travaillons au mieux pour offrir de meilleures opportunités de jouer la musique créée.
— Quels étaient les défis artistiques ?
— C’était important pour nous d’inclure, dans une même idée et face à un même public, des artistes émergent·es et des noms plus expérimentés. Ainsi, Tomasz Dąbrowski, un des musiciens les plus importants aujourd’hui en Pologne, ou Christophe Monniot en France, ont été mis en lien avec de jeunes artistes comme Amalia Umeda ou Adèle Viret. Il est important de mentionner que la plupart des artistes avaient déjà participé à nos programmes de soutien. Léa Ciechelski, Adèle Viret, Tomasz Dąbrowski, Kamila Drabek ont tous été membres de l’International Jazz Platform, et accueillis en Pologne. C’est donc une collaboration à long terme qui permet des découvertes, à nous deux en tant que curateurs, Philippe Ochem sur le versant polonais, et moi sur le côté français.
— Nous parlons de noms mais cet échange fait aussi circuler des idées, peut-être même quelques différences ?
— Quand nous les voyons sur scène, nous voyons plutôt quelles similitudes ces artistes partagent. Cela a été très visible, par exemple, avec le quatuor à cordes féminin. En Pologne, l’éducation classique a influencé très fortement le jazz et les musiques improvisées. Les quatre musiciennes sont extrêmement talentueuses et se sont retrouvées dans une approche très ouverte de la composition, sur la base de leur propre musique. La plupart des formations ont eu une approche nourrie de l’envie de nouvelles collaborations au sein de leurs propres mondes artistiques.
— Cet échange est bien entendu un déplacement d’artistes à l’étranger, mais aussi une possibilité de valoriser ces artistes dans leur propre pays.
— Le but principal reste de mettre en avant des artistes sur les scènes étrangères. Pour certains Français·es, les noms d’Amalia Umeda ou de Camilla Drabek seront entendus pour la première fois. Et c’est pareil pour nous, avec Christophe Monniot, par exemple. Adèle Viret, Maëlle Desbrosses, et Léa Ciechelski, en tant qu’anciennes plateformistes, sont plus ou moins établies, ici en Pologne. Notre public les connaît, mais on doit pouvoir les voir revenir jouer, ou découvrir de nouveaux noms, grâce à la synergie des collaborations franco-polonaises. À Berlin, à Łódź et à Strasbourg, nous voulions donner une chance à des artistes de développer une autre musique, de se sentir à l’aise pour la jouer, j’espère, dans d’autres pays.
— Et en évoquant ceci cela, nous parlons aussi de la question du genre et de la parité générationnelle. Je suppose que c’est une préoccupation commune en France et en Pologne, aujourd’hui ?
— Cet aspect a été très important pour nous. Nous souhaitions nous assurer que les genres soient représentés, qu’il y ait des musiciennes et des leadeures féminins, de très fortes personnalités. C’est très visible dans la musique créée pour ces concerts. C’est effectivement quelque chose que nous avons beaucoup travaillé en Pologne, dans tous nos projets. C’est aussi une de mes missions en tant que présidente de l’Europe Jazz Network d’augmenter la représentation des musiciennes dans le registre du jazz et des musiques improvisées, d’exposer leurs différentes personnalités, montrer l’impact qu’elles ont sur la musique et comment
elles nourrissent leurs créations avec de très, très fortes idées musicales... Vous savez, elles sont toutes de très puissantes personnalités musicales.