Roberto Negro
3 hommes et un coup fin
Roberto Negro s’associe à l’Ensemble Intercontemporain pour créer Newborn.
Cette pièce ample et tendue réunit 11 solistes et mélange acoustique et électronique dans un flux continu. Décodage.
— Est-ce que Newborn est une extension ou plutôt une forme de renaissance de ton trio avec Michele Rabbia et Nicolas Crosse ?
— Un jour, on faisait une session photo à La Cité de La Musique de Paris et l’une d’elles donnait l’impression que nous regardions tous les trois vers un couffin. C’est ainsi que Newborn est né. C’était clair et c’était évident. Ce n’était pas la renaissance de ce trio car il est né peu avant son extension, on a juste commencé à travailler tous les trois en sessions improvisées pour concevoir les textures de jeu. Ensuite, avec les confinements, j’ai eu du temps pour réfléchir et proposer à
Nicolas Crosse de jouer avec l’Ensemble Intercontemporain (EIC, ndlr).
— Qui est allé à la rencontre de l’EIC ?
— Avec Nicolas, nous sommes allés proposer ce projet à Olivier Leymarie, le directeur de l’EIC, et il lui a plu. On a fait appel aux musiciens avec le souhait que les volontaires aient vraiment envie d’être là. Nous nous sommes retrouvés à 11 personnes. La formation est équilibrée et les instruments amènent des couleurs différentes.
— Souhaitais-tu d’abord explorer de nouvelles couleurs instrumentales ou une méthode de travail ?
— Jusqu’ici, j’ai connu de petites formations, du solo au quartet avec l’album Papier Ciseau. Pour Newborn, j’avais envie d’aller vers quelque chose de plus ample. Dans le line up, on a le trio socle : Michele, Nicolas et moi. Ensuite, il y a le violoncelle, une flûte et une clarinette, deux trompettes puis un cor. Il y a également une harpe et des percussions. Ça occupe un spectre assez large, et, naturellement, on arrive à une formation originale.
— Cette grande formation te donne-t-elle la possibilité de créer un espace sonore plus large, encore inexploré pour toi ?
— Mon intuition de départ était d’être dans un projet sonore. Je suis attiré par le mélange acoustique et électronique. D’ailleurs, avec Michele, on a enregistré des éléments et les musiciens de l’EIC s’en servent. Cela crée une sorte de flux où l’on entend les instruments qu’on peut voir mais sans plus savoir lequel joue quoi. Ainsi le set reste dans la retenue mais en tension permanente.
— Avais-tu un protocole pour les sessions ?
— Les premières répétitions étaient presque angoissantes. Ça bouge complètement les lignes de chacun. Je mène un projet avec les musiciens d’une institution reconnue qui n’ont pas la même habitude d’improvisation. Ils n’ont plus en face d’eux un compositeur mais un musicien, moins protocolaire. Il faut être efficace tout en restant dans un projet empirique. Quand les musiciens de l’EIC sont là, il faut être efficace et savoir où on va, tout en se donnant le temps de chercher. On a commencé par une session enregistrée. À la deuxième session, les choses se sont précisées puis à la dernière répétition, j’ai senti que ce que j’amenais pouvait enfin rejoindre ma première intuition.
— As-tu pu noter des différences entre les deux traditions d’interplay : celle du jazz et celle du classique ?
— Je ne suis pas vraiment attaché à une tradition, mais plutôt à des habitudes de travail liées au jazz et aux musiques improvisées. Pour les solistes de l’EIC, je pense que c’est pareil, ce sont des habitudes de travail, pour les musiques d’aujourd’hui, du XXe ou des partitions graphiques. Là encore, Nicolas a fait le lien et je suis arrivé préparé aux répétitions. Néanmoins, on arrive face à ses limites, à des choses et des personnes nouvelles. Dans notre tradition, les groupes sont montés au bar, j’exagère un peu, mais pas tant que ça. Et là, avec l’EIC, c’est différent. Mais on a bu quelques verres ensemble depuis et ça aide beaucoup à sentir la personnalité et l’histoire des gens. Pour moi, c’est fondamental. Après une répétition et une bière ensuite, je suis rentré chez moi et j’ai écrit une pièce d’un quart d’heure basée sur une de ces histoires.
— Quelle place donnes-tu à la pensée et à la spontanéité dans Newborn ?
— J’ai besoin d’un cheminement, d’imaginer une forme, une architecture et de l’écrire. C’est une proposition forte et mûrie. L’idée n’est pas de mettre ensemble des musiciens, de faire de la musique et d’écrire trois thèmes. J’ai envie de caractère. Forcément, ça nécessite un travail d’écriture et plusieurs tentatives. Finalement, cette forme d’écriture ne laisse pas beaucoup de place à l’improvisation. Au geste improvisé, oui. Mais ce geste va nourrir cette architecture et donner du sens à l’endroit où il est accompli. Ce geste est cadré mais une énergie vitale en ressort.
— Dans cet ensemble aux vastes possibilités musicales, quelle est la place du silence ?
— Pour moi, cette création tourne de plus en plus autour de ça. Au début des répétitions, je laissais beaucoup de silence. Mais je me suis rendu compte qu’il y avait un juste milieu. Jouer avec la précision du son et le silence, c’est aussi laisser la place au son qu’on vient d’entendre et savourer au maximum la texture de l’instrument.
Entretien réalisé par Guillaume Malvoisin
2022