Angelica Sanchez & Ramon Lopez
FORMES CROISÉES
Angelica Sanchez et Ramon Lopez seront deux des pôles du trio créé avec Barry Guy, à l’automne prochain. Occasion parfaite pour parler de désir, d’émotions et de formalisme improvisé.
— Comment est venu l’idée de ce trio ?
— Angelica Sanchez : Je connais bien Ramon, on est proches car on a déjà joué ensemble dans différentes formations. Quant à Barry, j’ai eu le plaisir de le voir au London Jazz Festival, il y a quelques années, je ne l’ai jamais rencontré en vrai, seulement au travers de sa musique. Mais ce trio reste une idée de Ramon.
— Ramon Lopez : J’ai rencontré Angelica, il y a quatre ou cinq ans, lors d’une de ses résidences à Manhattan où nous avions joué, à son invitation, en trio avec Omar Tamez, un guitariste mexicain. Je sentais qu’il pouvait y avoir une connection entre elle et Barry Guy. J’en ai parlé à Jazzdor, lors d’un set joué avec Barry, Mette Rasmussen et Maya Homburger. Et nous voici.
— Que représentent chacun des autres musiciens pour vous deux ?
— RL : Ils sont uniques. J’aime la connaissance qu’ils ont de leur instrument et de leur langage, leur liberté. Avec Barry, j’ai évidemment développé plus de choses puisqu’on joue ensemble depuis 20 ans. Il a un son unique. Angelica, c’est pareil. J’aime son attitude face à la musique, son ouverture.
— AS : Les deux sont très différents. Je sais qu’avec eux, je peux créer en me laissant aller dans leur musique. Ramon, j’en suis fan depuis des années, c’est comme un mariage musical. Sa musique est plus que du simple son. Tu n’as pas à parler, tu as juste à jouer car les connexions sont déjà là. Et Ramon a une connexion avec Barry. Le groupe qu’on aura sera donc solide.
— Musique improvisée ou musique écrite ?
— AS : J’ai pensé écrire un peu. Avec ce genre d’oiseaux, tu n’as pas besoin de faire beaucoup d’efforts, la musique est déjà là. Ce sera aussi très collectif.
— Une écriture dédiée à ce trio ?
— AS : Oui, pour Ramon et Barry.
— RL : Oh ! Je vais accueillir ça les bras ouverts. Si tu écris pour nous, ça veut dire que la rencontre est déjà en route, c’est sublime.
— Ce trio aurait dû être créé en 2020, juste avant la pandémie. Quelle influence aura-t-elle eu sur votre projet ? Une plus grande urgence ?
— RL : Il y a encore plus de désir, il y a plus d’urgence de se retrouver enfin. Tout va partir d’une grande émotion.
— Parlons de vos manières de jouer : Angelica, je parlerais de musique introspective portée sur la forme.
— AS : Les formes m’ont toujours fascinées. Elles ont toujours été là, dans le passé et dans le futur. Quand je m’assois pour jouer, bien entendu, je ne pense ni aux formes, ni à l’harmonie : je joue simplement, dans le moment. Je ne cherche pas à m’écouter moi-même. Tu dois te faire confiance et tu dois faire confiance aux musiciens qui jouent avec toi car rien n’a commencé avant cela.
— Ramon, ton jeu serait celui d’un coloriste dans la lignée d’un Jack DeJohnette avec ce souci des teintes et de l’espace.
— RL : C’est là parce que je me sens libre, libre de chercher. Je joue de la batterie depuis 45 ans et c’est ma machine, mais au-delà de tout cela, il y a une nécessité de trouver des espaces et des couleurs. Vraiment, ce n’est pas très conscient, c’est simplement devenu ma façon de faire.
— Quelle pourrait être l’influence de vos autres trios sur celui-ci ?
— RL : Mon jeu, les liens avec les autres musiciens, ça a mis déjà une vie de musique pour exister. Toutes les surprises sont possibles, mais je ne peux pas me dire : « je vais jouer d’une nouvelle façon ». Impossible, jouer comme je joue aujourd’hui, ça m’a coûté une vie.
— Barry Guy a dit une fois en interview : « la technique des improvisateurs contemporains leur permettent de créer spontanément des formes proches de celles que les compositeurs classiques mettaient beaucoup de temps à créer ».
— RL : Oui, c’est possible mais c’est rare… Tu ne passes pas un concert à réfléchir à la forme. À la limite, et j’aimerais bien en discuter avec Barry, ce serait plus un travail d’arrangeur. Un arrangeur à la vitesse de la lumière.
— Dernière chose, Barry réclame chez les musiciens une forme d’engagement physique. Angelica, c’est très explicite dans ton jeu, l’engagement avec lequel tu joues est source d’émotions.
— AS : Les émotions, ce n’est pas quelque chose dont les musiciens devraient s’inquiéter. Elles sont toujours là. Quand tu pratiques, tu augmentes tes capacités, tes facilités physiques. La musique émotionnelle est là, en toi. Mais si tu essaies de la travailler, ça risque de sonner faux. Et quand tu n’as plus d’émotions, ça veut dire que tu es mort.
— Ramon, tu sembles plus porté sur l’ouverture et l’image que sur la puissance explicite. Ça a l’air facile quand on te voit jouer, une forme d’instinct poétique.
— RL : Il y a des gestes forts et des grimaces mais ça reste anecdotique. Peut-être qu’avec le temps et la pratique, mes gestes sont devenus naturels. Tu ne peux pas passer toute ta vie sur de la ferraille si tu tapes comme un fou. La batterie, c’est souple, ça rebondit. Il y a parfois une apnée, une tension ou un forte. Mais sinon, tout cela, c’est comme une vague, comme une respiration.