Robin des ombres
Rencontre avec Robin Fincker
Le saxophoniste Robin Fincker mêle ses ascendants franco-anglais pour livrer, en deux temps et en clair-obscur, une cosmogonie personnelle au Planétarium de Strasbourg.
— Shadowlands revisite le mélange d’une ligne très claire et de choses plus organiques, qu’on a pu entendre dans d’autres de tes projets, par exemple Bedmakers ou Future Folk Stories.
— Avec le temps tout un pan de mon travail s'est orienté ainsi, sans réellement m'en rendre compte. Le clair dans Shadowlands viendrait des choix mélodiques, pris au premier degré. Ils sont portés par Lauren Kinsella, par une voix chantée. Les paroles, souvent présentes, font qu'il y a quelque chose de très direct, très évocateur du monde de la lumière, de l’image avec laquelle je travaille beaucoup. Bedmakers et Folk Stories jouaient avec le free jazz et la musique électroacoustique, Shadowlands joue avec l’ombre de vieilles chansons folk et de pièces que j'ai composées.
— Les chansons proviennent-elles du renouveau du folk anglais du XIXᵉ siècle ?
— Pas mal de chants du début XIXᵉ, en effet. Death of the Lady, une chanson qui vient des grandes épidémies de peste en Angleterre, date du XIVe. Je l’ai retrouvée grâce à Martin Carter, un guitariste chanteur du renouveau folk anglais des années 70. Il y a Georgie, aussi, un chant magnifique des gitans anglais du Sud ouest de l'Angleterre.
— Comment abordes-tu ces sources populaires ?
— Sans me positionner en ethno-musicologue, j’aborde ce matériau avec le langage contemporain. Je viens du jazz nord-américain des années 30 à 70, par ma formation. J'ai beaucoup travaillé les standards, beaucoup joué les mélodies issues de comédies musicales. Certaines, nées de grands compositeurs, comme Gershwin ou Jerome Kern, t’accrochent sans que tu saches pourquoi. Pourquoi tiennent-elles dans le temps ? Pourquoi continuent-elles d’interpeller un jeune musicien aujourd’hui ? Avec ces projets, je reviens un peu à la source populaire du jazz, quand ces chansons avaient une signification pour un large public.
— C’est une approche quasi-artisanale, non ?
— Bien entendu. Que se passe-t-il si je traite une mélodie irlandaise comme un standard de jazz ? C’est assez artisanal de fouiner dans un patrimoine avec l’oreille, de dénicher une mélodie et de se dire : « cette chanson-là, je la veux dans ma besace, je la veux dans mon patrimoine personnel, je veux qu'elle fasse partie de ma culture. » Une mélodie t’appelle et tu veux la garder avec toi : j'ai l'impression que c'est vraiment ça, la force des traditions populaires, d'arriver à traverser le temps, sans dogme et sans règle. On voit des chants qui se déplacent géographiquement d'un pays à l’autre, à travers les siècles, à peine changés. Moi, c’est ça qui me plaît. Pour moi, la musique populaire, c'est ça, c'est voir ces mélodies voyager.
— Une autre constante dans ta musique, c’est l’importance de la narration.
— Ça aussi, ça s'est fait avec le temps. On me fait souvent ce retour, sur l'impression que je parle quand je joue. Il y a des endroits de recherche où un musicien fait sens. Mon endroit, c’est sans doute l’envie de dire… Reste à savoir ce que tu as envie de dire, mon gars. (Rires) Bize et Shadowlands se retrouvent dans cette idée. Ce sont deux musiques de climats, mais avec une volonté de narration avec un point de départ très improvisé ou une mélodie qui a 600 ans.
— Bize, de son côté, joue avec les vents, soit l'infiniment petit et l'infiniment grand.
— Avec Sylvaine Hélary, c'est même ce qui nous a intéressés depuis qu’on s'est rencontrés dans le Surnatural Orchestra, il y a plus de 10 ans. Il y a quelque chose de la conversation, quand on improvise ensemble. En effet, il y a des changements d’échelle mais je ne le conscientise pas. Tout se joue davantage avec les gens de ces groupes, qui sont comme des mobiles en équilibre fragile. Il y a cette fragilité de quelque chose de très intime, qui est un peu en l'air et qui pourrait se casser la gueule à tout moment. Et pourtant, dans Shadowlands, par exemple, on développe quand même un très gros son. Bize, c’est un travail sur les vents, des improvisations déclinées selon différents types de vents. Et nous, on est juste avec une flûte et une clarinette à jouer la bise. Comment tu fais pour évoquer ces grands espaces avec avec si peu ? C'est peut-être juste un truc de représentation mentale à provoquer.
— Nous revenons aux images. Tu vas jouer au planétarium. Cela va-t-il être une contrainte ou, bien au contraire, une force pour ces deux projets ?
— C'était un vrai désir, confié en coulisses d’un festival à Philippe Ochem. J’avais envie de confronter ces deux groupes à ce lieu. Je suis curieux de voir ce qu'on va pouvoir en faire. L'idée d'amener du vent dans un endroit comme ça, c’est magique. Tous les concerts sont complètement poreux aux contextes dans lesquels ils ont lieu. C’est assez excitant d'amener notre travail sur notre petit monde terrestre au milieu des planètes.
Entretien réalisé par Guillaume Malvoisin / PointBreak pour Jazzdor