Le monde du silence
Clément Janinet
Avec Garden Of Silences, son nouveau quartet, Clément Janinet cultive les différences de répertoires et de cultures. Ce jardin sonne clair. Européen, charnel et subtil.
— Le mot Silence dans le nom du quartet est paradoxal dans ta musique, habituellement plutôt dense.
— C’est vrai qu’il y a rarement du silence dans ma musique, souvent faite de tunnels répétitifs. J’ai convoqué un imaginaire autour du silence et de l’espace, venu des influences et des individualités choisies pour ce groupe.
— Quel a été ton processus de composition ?
— J’ai d’abord commencé par relever beaucoup de musique baroque, analyser, découper, isoler des modes de jeu, des cadences. Il y a eu un long travail de sélection, puis j’ai apporté des pièces extérieures, écrites de A à Z, mais assez ouvertes sur leur forme. Ensuite, nous avons pu tester des jeux de sons, de textures, d’improvisation pour développer cette sélection vers la forme fluide et cohérente dont j’avais envie.
— D’où vient ton envie de saisir ces couleurs instrumentales-là ?
— C’est venu de Charms of a Night Sky, un disque de Dave Douglas, que j’ai écouté en boucle quand j’étais étudiant, et que je continue d’écouter régulièrement. J’adore cet instrumentarium qu’on retrouve dans le jazz norvégien. Je voulais ces couleurs augmentées d’une dimension Free, d’apports du Baroque, de mélodies et de chants traditionnel·les du Centre-France, que j’ai réarrangé·es pour Garden.
— Comment as-tu confronté Arve Henriksen à la musique française ?
— C’est une musique qu’il a l’habitude d’écouter, grâce à sa femme qui chante dans le Trio Mediaeval. C’est un univers qu’il connaît, mais sans le pratiquer réellement. Pendant notre première résidence, Michel Coppé, un violoniste baroque avec qui je prends des cours au conservatoire de Besançon, nous a aidés dans certains passages sélectionnés. Il nous a aiguillés sur le sens de ces musiques, dans leur époque, par approche historique et esthétique.
— Qu’apporte Arve, justement ?
— Il y a d’abord son son et sa manière d’aborder l’instrument, complètement détimbrée, ce son très éthéré, avec beaucoup d’espace, qui me plaît beaucoup. Ensuite, c’est un très grand improvisateur. C’est vraiment incroyable d’être à un mètre de lui et d’écouter ce qu’il arrive à produire d’un point de vue sonore et musical. Je tenais à jouer avec des musiciens nordiques et c’est un bon ambassadeur. Ça a été très intéressant de le décaler un petit peu par rapport à ses habitudes, à sa zone de confort, c’est hyper fascinant d’être à côté d’un tel musicien.
— Le choix de Robert Lucaciu à la contrebasse ?
— Je savais qu’il jouait très bien l’archet, et j’avais très envie d’une contrebasse jouée à l’archet. L’idée de Garden, aussi, c’est d’en faire un quartet européen, de l’ouvrir à des territoires qu’on connaît peu et où on joue peu en tant que musicien·ne français·e. Robert, je l’ai rencontré quelques fois, humainement, je n’avais aucun doute.
— Ambre Vuillermoz, quant à elle, vient du classique.
— Toutes ses influences viennent de la musique baroque, d’une musique plus écrite. C’est bien qu’il y ait quelqu’un qui puisse avoir cette autre vision que la nôtre, basée surtout sur l’improvisation, qui ait des notions de lyrisme, de rapport au texte. C’est une super improvisatrice également.
— Garden of Silences est un quartet européen, créé avec l’aide de Jazzdor, né dans une ville située artistiquement, géographiquement voire politiquement au cœur du même réseau. Est-ce que ça a pu avoir un impact particulier dans la manière de concevoir ta musique ?
— Oui, cela a eu un réel impact. Jazzdor a porté le projet au sein d’une demande de subvention de création mutualisée au ministère de la Culture, qui nous a permis de fédérer d’autres partenaires autour de ce quartet. Sans eux, ce projet n’existerait pas de cette manière. Ensuite, oui, cela a du sens de par la dimension européenne de Jazzdor. De plus, nous venons d’enregistrer au Budapest Music Center. Ainsi le sens et les soutiens de ce projet ont été dès le départ très fortement liés.
— Comment se situe Garden of Silences dans le prolongement de certains de tes groupes précédents comme La Litanie des Cimes ou O.U.R.S. ?
— La formule chambriste pourrait ressembler à celle de La Litanie, on retrouve les influences musiques minimalistes américaines, l’énergie du free des années 70, les recherches timbrales sur les instruments acoustiques. La différence, c’est que je souhaitais écrire au plus près de l’univers d’Arve. Alors, les influences baroques, du début du Baroque à la Renaissance finissante, font leur apparition. Et c’est assez nouveau.
— Les Répétitifs américains, le minimalisme, le Free… Est-ce un moyen de prolonger tes obsessions ou de résoudre une chose encore mystérieuse pour toi à ce sujet ?
— C’est juste une question de goût et d’influences et la suite logique d’O.U.R.S. et de La Litanie. Ce n’est pas une quête mais un plaisir basé sur cette musique, construite pour que les improvisateurs puissent être complètement libres. La simplicité apparente des matériaux et de la forme d’improvisation permet de mettre beaucoup de soi, devient un prétexte pour faire de la musique ensemble. À partir de ceci, on peut créer un son de groupe, un langage propre au groupe qui se forme.